L'étiquette
Hôtel Matignon. Je suis
accrédité pour couvrir la séance des vœux à la presse de François Fillon. Dés
l’arrivée nous sommes dirigés vers une salle qui est une digne représentante de
ce que l’on appelle « les ors de la république ».
Les services du Premier ministre
ont installé une tribune, en hauteur, faisant face à une seule caméra qui
retransmettra les images de l’allocution pour toutes les télévisions. Des
cordons sont disposés tout autour pour contenir les personnes qui vont assister
au discours et accessoirement les photographes. Lorsque je décide de
m’installer à gauche de la tribune, un
responsable me demande si je ne serai pas mieux de l’autre côté pour avoir le
Premier ministre bien en face. Et bien non, je n’ai vraiment pas envie de
l’avoir « bien en face » comme ils disent. En réalité, bien dans
l’axe de la caméra, comme ils pensent… ce même responsable hésite lorsqu’il
reçoit ma réponse.. Une seconde, je pense qu’il va m’interdire de me mettre là,
puis abandonne.. « Bon, vas-y, fais comme tu veux.. »
Vu la disposition des
lieux et le monde présent je sais que nous ne pourrons plus circuler une fois
le politique présent. Je décide donc de prendre place et de ne plus en bouger.
Placé au bord du pupitre j’ai une vue sur la porte par laquelle le Premier
ministre va arriver. D’expérience, je sais que c’est ici que ça se passe, et
puis une femme, chargée de la sécurité, plante devant, l’air un peu hagard. Je
l’observe un moment, tout en discutant avec mes camarades photographes. Je ne
l’ai jamais vu. Elle semble débuter, et regarde avec encore un peu de naïveté
le spectacle qui se déroule devant ses yeux. La foule des journalistes
accrédités commence à se presser sous les dorures et se souhaite évidemment la
meilleure des années. Chacun parle de l’annonce de remaniement ministériel qui
à eut lieu ce matin. Je n’arrive pas à détourner mon attention de cette femme.
Je commence à la photographier dans ce décor de pacotille. Tout cela me semble
faux, sur joué. Le baroque des décorations m’apparaît en carton pâte et la
femme s’est trompé d’adresse. Le temps passe. Il y a du retard. Elle aussi se
demande ce qui se passe et à envie d’en finir. Elle regarde sa montre. Un petit
moment de faiblesse qui me fait sourire. C’est toujours une image.
Posté derrière ma barrière de tissu, je m’imagine la photo que je vais faire : Fillon sort de cette fichu porte, la femme le regarde en arrière plan, il jette un regard sur son coté gauche tout en filant vers le pupitre à sa droite..
Évidemment, lorsque la
porte s’ouvre rien ne se passe comme je l’avais imaginé. Une foule de gens sort
en même temps, le Premier ministre perdu au milieu d’un désordre illisible.
Bref c’est raté. Je comptais pourtant sur ce moment là pour avoir mon image.
Quelque chose de dynamique, car maintenant qu’il est sur la tribune, il ne se
passe plus rien. Collé que je suis au pupitre je cherche désespérément quelque chose de neuf. Je regarde la
scène qui s’offre à moi. François Fillon est sur le coté, il attend la fin
d’une précédente allocution. Il se tient sagement à l’écart, comme un enfant
qui aurait fait une bêtise et qui est fier de son coup.
L’étiquette placée sur le
devant du pupitre me bouche le regard. Alors pourquoi ne pas l’intégrer. Cette
fameuse étiquette où est toujours inscrit le motif de l’évènement et la date.
Au cas où nous l’aurions oublié. Une étiquette avec les paramètres précis de la
communication du jour afin que l’intégrions dans nos images, pour parfaire le
message officiel voulu par les politiques. Cette étiquette que je retrouve sur
tous les discours, prises de paroles, déplacement. Cette étiquette qui voyage
dans les valises des conseillers en communication pour estampiller chaque
avancée médiatique. Je décide de ne voir qu’elle. Je fais le point sur elle. Le
personnage politique devient flou, secondaire. Il ne devient que l’image
fantomatique de ce que lui dicte l’étiquette. Il est, à cet instant,
l’étiquette.
Une fois de plus, je
m’amuse à inverser les rôles. Tordre le coup au système trop bien préparé.
Après avoir choisi la photo, je quitte le journal sans savoir si c’est celle ci
qui sera choisie. Je verrai demain, dans un bistrot, dans un bus, ou dans la
rue mon image sur le papier. Elle ne m’appartient déjà plus et sera exposée au
regard du lecteur qui finalement jugera de ma position.