L'abandon

12 février 2009

Je suis au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Toujours sur la route de l'histoire des grèves dans les universités. Valérie Pecresse, la ministre, reçoit aujourd'hui les syndicats étudiants accompagnée de Martin Hirsch, le haut commissaire à la jeunesse. Cette rencontre se fait dans le cadre d'une concertation concernant l'amélioration de la vie étudiante, mais dans le climat actuel, une confrontation de la ministre avec les syndicats attire pas mal de monde. La réunion se tient. Nous faisons quelques images au début de l'installation, puis nous sommes invités à patienter dans la salle où se tiendra la conférence de presse à l'issue de la réunion.
Nous attendons. Temps perdu. Je traite mes premières photos. Au bout de deux heures, ça sort. Toutes les caméras se tiennent devant la porte de la salle. Ils bouchent l'entrée aux ministres. Des sourires de complaisances s'accrochent au visage de Valérie Pecresse. Les journalistes tiennent les positions. La ministre tente de fendre la masse. Les micros se tendent. Pecresse passe. Martin Hirsch, lui, s'arrête. Il commence à répondre aux questions. Les caméras s'organisent face à lui. Il débite son discours, ses propositions. Je suis derrière. Je suivais Valérie Pecresse, et je me retrouve avec elle derrière Hirsch qui est face aux journalistes. Je vois que la ministre est surprise et interloquée qu'il se soit arrêté. Elle se positionne en retrait et attend. Je sens qu'elle bouillonne. Son visage se crispe. Une colère rentrée se lit rapidement sur son visage. Elle regarde régulièrement son collaborateur qui est derrière moi. Elle lui adresse des regards complices et assassins. Je me dis qu'elle se voit voler la vedette. Elle observe l'autre vivre ce moment. Elle ne voit que sa nuque. Elle voit les objectifs braqués sur un autre. Ses mains se joignent car elles ne peuvent pas faire autre chose. Je photographie toute la scène, en faisant bien attention de marquer la confrontation de son regard avec la masse des caméras qui ne lui est pas destiné. Je m'amuse de la voir ainsi observatrice et impuissante.

Enfin, elle baisse la tête. Dans un soupir, son regard se porte sur la moquette trop propre du couloir du ministère. Je la vois qui part un instant, dans ses pensées. Je me dis que les deux images presque identiques sont révélatrices de la violence de ce milieu. La politique fait de vous un point d'attraction ou un point mort. Mais cela ne se fait pas sans le renoncement du politique. La ministre a abdiqué un instant. Pour cette fois j'étais de son côté. J'ai pu enregistrer cela. Martin Hirsch à fini. Les caméras se détournent. La ministre le prend par le bras. Elle s'est repris. Elle accroche le haut commissaire en lui disant "allez on va faire la conférence de presse monsieur le haut commissaire!...tu feras ton coming out plus tard..."
Je me retrouve face à eux. Ils marchent sur moi et ne me voient pas. Le visage de Martin Hirsch s'est figé à son tour. La ministre à repris la main pour cette fois. Finalement l'abandon de soi même n'aura duré qu'un instant.