Incarné
François Bayrou présente ses nouveaux outils internet. Les journalistes sont invités à se rendre au siége du Modem pour découvrir les sites, forums sociaux mis en place par le parti. Réunis en cercle dans la salle de conférence nous regardons la projection sur un écran disposé là. Les spécialistes font leur présentation. Le politique ramène les choses régulièrement sur le terrain du militantisme. Un nouveau mode d'action politique serait en train de voir le jour. On militerai à son rythme grâce à ces outils là. Soit.
Ils sont assis. Nous écoutons. La lumière est effrayante. Des sources viennent éclairer le haut des crânes. Nous en rions, mi amusés, mi dépités. Je fais mes photos presque sans y penser. Bayrou joue le jeu, comme à son habitude. Il repère notre position et se place correctement. Parfois il nous regarde et sourit. Un regard en coin, un clin d'œil. Je construit des choses avec les lignes de l'écran, les ordinateurs, histoire d"être raccord avec le sujet du jour. Une fois de plus je me demande ce que le journal va faire de ça..
Interventions, questions, réponses. C'est fini. Tout le monde se lève. Je me précipite avec mes camarades photographes au devant des intervenants lorsqu'ils quittent la tribune, histoire d'avoir une image moins statique. Bayrou nous regarde et rigole "c'est peut être pas très intéressant comme photo là.." Effectivement, après un temps de recul, je suis d'accord avec lui. Nous en sourions de concert. Il nous laisse finir, mais n'en pense pas moins. Personne n'est dupe. Clic clac, comme on dit. C'est fait.
Les caméras viennent à leur tour à leur rencontre. C'est le moment des sons. Le politique doit redire face à la caméra ce qu'il vient de répéter pendant une heure, mais il doit le faire en une minute. Le format l'exige. Bayrou s'exécute après avoir demandé à chacun quel est son média. Un mot sur la Guadeloupe. Un mot sur la polémique du jour. Je me tiens là très prés de lui. J'aime la lumière qu'amène les caméras de tv. J'en profite pour faire une série. J'ai soudain envie de rentrer dans le politique. Voir sa chair au plus prés. J'ouvre mon diaphragme au maximum. Je créé du flou autour de lui. Je veux l'incarner et à la fois l'arracher à son environnement. Je place mon cadre et avance petit à petit. Je rentre dans ce visage et l'explore enfin. Il me revient à la mémoire la phrase d'un acteur disant que son travail finissait toujours à passer par la viande du corps. J'essaie, à ce moment là, de retrouver la viande du politique. L'usure, le temps passé sur des marchés à serrer des mains. Les heures de voitures, de train, d'avion, pour aller partager un moment de compassion ou de joie avec des électeurs. J'ai Bayrou dans mon œil, mais cela pourrait être un autre. Le moment se fige un peu et je commence à me sentir confortable. Sans m'en rendre compte, je dois être à trente centimètres de lui.
J'entends les voix des journalistes derrière moi. Celle sur la gauche lui pose un question : "monsieur Bayrou, alors si je vais sur votre page facebook, je pourrai vous poquer et vous me répondrez?.." Le politique voit bien où elle veut l'amener. Il sait que la volonté est de céder à sa caricature, se moquer de lui même. Il peut s'en offusquer et ne pas répondre, rejeter l'invitation. Il peut aussi jouer ce jeu là. Je le vois qui hésite un centième de seconde. Ca va très vite. Alors le masque change. Il sourit, se met à rire carrément. Il regarde fixement la journaliste et lui répond : "mais bien sûr si vous me poquer, je vous poquerai à mon tour..ah ah ah.." Il se détourne alors dans un grand rire qui meurt aussitôt. Il tourne la tête à la recherche d'un journaliste qui voudrait bien lui poser un autre question.